Les communicants et le numérique : maîtres ou esclaves ?
Billet à impact #2, ou comment savoir si on utilise les outils digitaux ou s'ils nous utilisent.
Bonjour à toutes et tous,
Réseaux sociaux, intelligence artificielle, automatisation, retargeting, SEO… grâce à la technologie et la digitalisation de notre société, il n’a jamais été aussi simple pour les communicants de faire leur métier. Vraiment ?
A force de multiplier les outils, on peut parfois, de manière consciente ou non, oublier l’essentiel, considérer le canal comme une finalité, et finir par souffrir de dissonance cognitive, au même titre que les consommateurs que l’on cherche à toucher.
Mais ce monde technologique est aussi un formidable challenge en terme d’approche client, et un facteur d’ouverture pour les entreprises.
Petit point (non exhaustif) en ce début d’année 2020 sur l’impact de la digitalisation de la communication.
Le règne des statistiques
Pour le meilleur et pour le pire, nous sommes devenus des adeptes des chiffres.
Nous évoquions auparavant la créativité, les concepts, les émotions pour faire passer nos idées auprès des décideurs.
Maintenant, on nous demande aussi (surtout ?) nos tableurs Excel.
KPI, ROI, CPC et autres joyeux acronymes ont envahi nos discours pour prouver que, oui, la communication peut être évaluée et par conséquent valorisée.
A travers ces chiffres qu’on avance comme s’ils étaient le sésame, le savoir absolu, ne recherche-t-on pas la reconnaissance ?
“Vous, à la com, vous faites des trucs sympas, j’aime bien les couleurs, mais bon on ne sait pas bien quel impact ça a…”
Ça y est, on l’a notre revanche !
Moi qui suis une littéraire, je parle maintenant “d’optimisation des coûts d’acquisition des leads”. Pour toujours faire plus avec moins, mener la course à la performance. C’est mon prof de maths du lycée qui aurait été content.
Mais à trop “lire des chiffres”, les clients peuvent se résumer à des lignes dans un CRM.
Et plus on emprunte ce chemin qui apporte de la légitimité, plus on peut perdre en créativité et en compréhension du client. Ne plus chercher à le comprendre, lui et son mode de vie, ses besoins et ses peurs. A attendre que ses actions, enregistrées dans un logiciel, nous donnent son parcours de vie.
Les géants du web nous incitent de plus en plus à laisser leurs algorithmes gérer nos stratégies digitales, au niveau des enchères publicitaires par exemple. Que l’on y soit favorable ou non, j’y vois surtout l’opportunité de réfléchir à ce que nous, humains, pouvons apporter comme valeur ajoutée dans ce nouveau modèle.
La stratégie émotionnelle et créative, notamment dans la conception des messages, reste, malgré toute la technologie qui nous entoure, l’enjeu numéro 1 de nos métiers.
Dans une société obnubilée par la data, nous avons trouvé l’opportunité de prouver notre légitimité. A nous de faire en sorte que ces données récoltées ajoutent - plutôt qu’elle ne retirent - de la valeur aux relations entre l’entreprise et ses clients.
La dissonance cognitive liée à la data
Donc l’objectif est d’aller chercher plus d’humanité à travers les chiffres, pour améliorer la connaissance du client. En récolter toujours plus pour lui envoyer des communications personnalisées, lui faire vivre une expérience qui lui semblera unique.
Mais n’y-a-t-il pas là un paradoxe ?
En tant que citoyens, nous défendons le respect de nos données personnelles alors que nous les semons partout sur le web.
En tant que professionnels, nous prônons un retour au lien humain alors même que nous utilisons des systèmes informatiques et du marketing automation (envoi d’emails automatiques en fonction de l’action de l’internaute).
Et le comble : l’utilisation des données des autres nous est indispensable pour mener à bien notre mission de contenus ciblés, qui se veut moins intrusive…
Nous sommes dans les faits cernés par la technologie et son pouvoir de surveillance.
Et ce qui nous sert en tant que communicant - la captation de données personnelles - nous dessert souvent en tant que citoyen.
A nous de construire nos stratégies de sorte qu’une collecte de données frugale puisse servir nos objectifs. Car si ces derniers sont bien définis, n’est-ce pas le meilleur moyen d’aller à l’essentiel pour proposer une expérience client plus fluide et agréable ?
L’entreprise étendue
Le travail d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier, et préfigure peut-être la norme de demain. Salariés et indépendants travaillent de plus en plus ensemble, sur les mêmes projets, pour former des équipes pluridisciplinaires constituées en fonction des besoins du moment.
En cela le numérique a permis de brouiller des frontières auparavant difficilement franchissables, pour étendre l’entreprise au-delà de ses murs et de sa culture.
Des échanges de compétences et de savoirs se créent, apportant des idées et des visions nouvelles au sein d’un écosystème auparavant souvent destiné à rester dans l’entre-soi.
Connectés aux mêmes outils numériques, les équipes communication en interne, les agences et les indépendants pilotent, mettent en œuvre leurs actions et en mesurent la performance, ensemble.
La technologie a également, de manière paradoxale (encore une fois) permis aux communicants de s’affranchir des équipes techniques, grâce à des outils accessibles et intuitifs, qui sont une vraie source d’émancipation… ou pas.
Est-ce une bonne idée de vouloir tout gérer, tout seul ?
Certes il est possible de ne plus dépendre de personne pour gérer les réseaux sociaux, mettre à jour le site web, animer l’intranet, améliorer le référencement naturel… Mais ces tâches, qui sont souvent plus compliquées qu’elles n’y paraissent, relèvent de compétences spécifiques et chronophages. A trop vouloir en faire, on risque de se disperser, et de se voir demander toujours plus de la part de son entreprise.
Retour à la case aliénation (choisie).
La difficile déconnexion
Plus nous avons d’outils pour nous “faciliter la vie”, plus notre environnement est digitalisé, et plus les frontières entre vies professionnelle et personnelle sont poreuses.
Il y a quelques années, l’entreprise dans laquelle je travaillais a accueilli un stagiaire de 3ème. Il a fait le tour de tous les services, dont le mien. J’ai appris par la suite que c’était la communication qui l’avait le plus marqué car je “passais mes journées sur Facebook et j’étais payée pour ça”. Passons sur le sentiment d’échec que j’ai ressenti devant ce raccourci abrupt de notre métier, je ne peux sans doute m’en prendre qu’à moi-même. A vouloir trop simplifier les choses, on passe à côté de l’essentiel.
J’aurais voulu lui dire que passer sa journée sur Facebook n’est pas la panacée, que souvent ce réseau social me sort par les yeux, mais que oui cela fait partie du job. Et qu’une forme d’aliénation volontaire s’installe : vous gardez toujours un oeil dessus, au boulot et en dehors, de peur de manquer un message “important”, ou un bad buzz qui démarre. Et il n’est pas toujours simple de (se) poser des limites.
Ce mélange de répulsion, d’épuisement mental et de fascination pour les réseaux sociaux est très bien expliqué par Olivier Tesquet, auteur du livre “A la trace” :
“Le problème n’est pas tant l’imposition totalitaire de la technologie, mais sa capacité d’envoûtement, qui nous maintient dans une position de servitude consentie et heureuse... Nous notons déjà de notre plein gré la moindre de nos interactions sociales (Yelp, TripAdvisor, Uber…). La tech a réussi son pari : susciter chez nous une peur atavique, celle de cesser d'exister si on en venait à se déconnecter.”
Le paradoxe est que nous vivons et travaillons dans une société numérique, qui nous a permis de casser certaines frontières entre l’entreprise et ses clients : davantage d’interactions, de co-construction de produits, de relations humaines finalement. Nous sommes dans l’ère du marketing de dialogue.
Mais les humains de l’ère technologique sont mentalement épuisés par cette avalanche d’informations et de stimuli (les communicants peut-être encore plus, puisque nous les concevons, émettons et recevons à la fois), et ce pour une raison “bêtement” physiologique :
“Notre cerveau ne s’est pas adapté au rythme des changements rapides et radicaux de notre environnement, particulièrement l’introduction et l’ubiquité des technologies de l’information. “ Adam Gazzaley, neuroscientifique
Nos réalisations ont été plus loin que notre capacité d’adaptation.
Pas étonnant que les mouvements “slow”, qui visent à redonner du sens à ce que nous faisons, prennent de l’ampleur à travers le monde et différents secteurs.
Conclusion
Alors, sommes-nous maîtres ou esclaves de la technologie ? L’utilise-t-on ou nous utilise-t-elle ?
Bien évidemment, tout est une question de proportion, de moment et d’usage. Et tout est en perpétuel mouvement, en tension.
Car comme l’écrit Laetitia Vitaud dans son livre “Du labeur à l’ouvrage” :
“On parle souvent des outils numériques de deux manières, tant comme d’une libération que comme d’une aliénation. La réalité, c’est qu’ils sont les deux à la fois. Ils provoquent des maux nouveaux en même temps qu’ils offrent des remèdes inédits.”
Et même au sein des géants de la tech, une réflexion s’ouvre, vers une évolution du modèle, pour plus d’éthique.
Les nouvelles technologies doivent permettre de réduire le temps passé sur les tâches répétitives, sans réelle valeur ajoutée. Pour augmenter le temps consacré à l’essentiel : le conseil, la stratégie, la production de contenu, le relationnel.
Il faut réussir, au quotidien, à trouver l’équilibre entre l’humain, l’automatisation et la data, sans oublier l’essentiel : la qualité et la pertinence des messages, le respect de ses audiences.
Car après tout, notre métier reste finalement le même, la bande passante en plus.
Récapitulatif des sources :
✏️ Article paru sur emarketing.fr : “Pour mieux engager grâce à la donnée, collecter moins de data”.
✏️ Interview dOlivier Tesquet dans L’ADN : “2020 : la surveillance de masse technologique est partout”.
✏️ Article paru dans Le Hub La Poste : “Mouvement slow : les marques entrent dans la danse”.
✏️ Article du site web de Robert Half : “Qu’est-ce que le slow management ?”.
✏️ Article paru sur lemonde.fr : “Avec les objecteurs de conscience de la tech”.
✏️ Article paru sur mon blog : “L’intelligence artificielle va-t-elle remplacer le copywriter ?”.
C’est fini pour aujourd’hui !
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Aurélie