La revanche des bullshit jobs
Billet à impact #4, ou comment une crise globale peut mener nos métiers vers une nouvelle ère.
Ça y est, on y est.
Si le sentiment diffus de faire partie des bullshit jobs ne vous étreignait pas déjà, la crise que nous vivons collectivement peut vous l’envoyer en pleine figure.
Les médias font écho de ces métiers dévalorisés, sous-payés, qui s’avèrent (il serait temps de s’en rendre compte) les plus vitaux. Et qui sont souvent à l’opposé des nôtres.
J’évoquais dans les précédentes éditions du Billet à impact la nécessité pour nos métiers d’être porteurs de sens, sans quoi on risquait à la fois de perdre le lien avec nos publics, mais aussi avec le sentiment d’utilité.
Nous, communicants et marketeurs, ne sauvons pas des vies, mais nous pouvons utiliser nos compétences et nos savoir-faire pour accompagner la transformation de la société, et préparer un “après” souhaitable.
Notre force est dans la diffusion d’idées, la construction de communautés, la mise en avant d’initiatives positives, la mise à disposition d’outils et de conseils pour permettre aux entreprises de se réinventer…
Cela fait deux mois que je n’ai pas écrit de Billet à impact. Prise au début par d’autres engagements, vite rattrapée par la crise sanitaire et économique, il m’a fallu digéré un minimum ce choc frontal, et laisser passer le gros des articles sur “Les marques doivent-elles continuer à communiquer ?” pour me sentir libre de revenir vers vous.
Certains signaux faibles se font de plus en plus visibles : nous aideront-ils à amorcer la métamorphose ?
La technologie à la rescousse
Le virtuel, à double tranchant
A ceux qui pensaient profiter du confinement pour entamer une digital detox, à priori c’est raté.
La ruée vers les écrans.
L’incertitude de la sortie de crise est angoissante, alors on commande à manger sur l’appli Uber eats, on est victime du FOMO (Fear Of Missing Out) et on scroll toute la journée les feeds de nos réseaux sociaux, on télé-consulte un médecin pour se rassurer, on organise des apéros sur Zoom, on crée des groupes WhatsApp avec toute la famille, on binge sur Netflix.
Cette utilisation massive n’est pas sans poser des questions d’ordre sanitaire (fatigue visuelle, Troubles Musculo Squelettiques, difficulté de concentration…), logistique (disponibilité de la bande passante…), et de sécurité des données. Outre les réseaux “historiques” comme Facebook, WhatsApp etc. qui se nourrissent de nos données personnelles, d’autres outils ont pris un essor considérable depuis le début du confinement. C’est le cas de Zoom, qui permet l’organisation gratuite de visio-conférences. Epinglée à plusieurs reprises pour des failles de sécurité, cette appli, passée de 10 à 200 millions de comptes dans le monde en trois mois, est utilisée par des particuliers, des entreprises et même des gouvernements !
La technologie comme arme ultime contre le virus.
Et c’est sans compter l’application mobile que le gouvernement va mettre prochainement en place pour lutter contre la propagation du COVID-19 - StopCovid - déjà objet de nombreux débats liés notamment au risque de signose (transformer la proximité avec un malade : le signe, en signal : vous avez été infecté, sans prise en compte du contexte).
Le risque ultime étant que, sans autres outils pour limiter la propagation du virus, cette appli qui aujourd’hui est basée sur le volontariat devienne le seul recours d’une politique sanitaire de catastrophe. Les glissements liberticides et discriminatoires s’exerceront alors : une telle application pourra finir par être imposée pour continuer de travailler ou pour accéder à certains lieux publics, tel un “certificat d’immunité”. Pour ce qui touche au médical, rien ne peut remplacer l’appréciation d’un humain, la prise en compte du contexte. A l’inverse de la signose, la diagnose observe des symptômes pour établir un diagnostic et déclencher un traitement. La récolte même massive de données ne peut remplacer la recherche scientifique.
Le confinement ou le retour à l’essentiel
Malgré tout, et comme souvent, nos excès et nos craintes s’accompagnent de créativité et de mouvements positifs.
Nous retrouvons l’importance de la culture.
Le milieu culturel et du divertissement a déjà montré son incroyable capacité à s’adapter grâce aux technologies. Spectacles diffusés gratuitement sur internet, lecture par téléphone par des comédiens, visite de musées en ligne, émissions de télé gérées depuis les domiciles des animateurs… l’urgence et la nécessité nous poussent à créer de nouvelles formes de liens et d’interactions, et nourrissent la curiosité et l’ouverture d’esprit.
Les liens entre urbains et ruraux se resserrent.
Les demandes sur les plateformes de circuits courts alimentaires explosent. Elles permettent de soutenir les producteurs locaux, et de faire découvrir à certains la qualité de leurs produits et leur caractère essentiel, vital en ces temps incertains. Le citadin (re)prend conscience que les aliments qui composent son assiette au quotidien ne sont pas “fabriqués” en supermarché, mais le résultat du savoir-faire, de la patience et du travail de femmes et d’hommes près de chez lui.
L’appel de la nature se fait aussi sentir.
Habitués à circuler librement, nous découvrons qu’être enfermés dans un bloc de béton nous annihile. Nous l’avions presque oublié, passant de notre lit à notre chaise de bureau, puis à celle du restaurant à midi, puis au canapé le soir. Nous avons besoin de bouger, marcher, respirer l’air frais (même pollué), bref en confinement, nous sommes des animaux en cage. Et nous rêvons de forêt, de verdure, d’océan, de montagne, de paysages à perte de vue… nous nous redécouvrons comme composante de cette nature. Au point de s’imaginer en maraîcher, artisan, paysan après le confinement… ou tout du moins en télé-travail dans une jolie maison dans un coin de campagne.
Un grand nombre de scenarii de design fiction pourraient être envisagés à partir de ces constats. Et déjà, de nombreux projets existent pour réclamer un monde “d’après” différent.
Amorcer la métamorphose pour mieux encaisser les chocs
Accompagner plutôt que communiquer
Le temps du silence médiatique.
On ne va pas se mentir, la communication externe, particulièrement la publicité, est délicate en ces temps de crise (nous pouvons d’ailleurs nous poser la question de la difficile survie des médias sans les recettes publicitaires, mais c’est un autre débat). Promouvoir ses produits/services n’est que peu apprécié, et prendre la parole sur la crise elle-même doit être légitime. Donc si vous ne savez pas quoi dire, c’est probablement qu’il est préférable de faire une pause pour éviter des effets contre-productifs.
A contrario, là où les communicants sont essentiels, c’est dans la transformation (à marche forcée il faut bien le dire) des entreprises. Communiquer auprès des salariés et des parties prenantes (clients, prestataires, sous-traitants etc.) permet à la fois de garder le lien, mais également d’informer en toute transparence sur ce que l’entreprise peut et compte mettre en place pour sauvegarder son activité, et par extension celle de son tissu économique.
Guider et rassurer ses communautés.
Le télé-travail est un bouleversement dans les habitudes de beaucoup de salariés. Eux qui voyaient tous les jours, physiquement, leurs collègues et leurs managers, se retrouvent chez eux, sans forcément un espace de travail dédié, ni le matériel adéquat (accès difficile aux serveurs de l’entreprise, connexion internet fluctuante…). Les managers et les communicants doivent travailler main dans la main pour recréer un espace d’échanges, un climat de confiance, et les conditions d’une continuité, lorsqu’elle est possible, de l’activité de l’entreprise. La technologie doit servir les liens humains.
C’est un nouveau fonctionnement pour les salariés, qui vont accroître leur capacité à travailler à distance entre eux, mais aussi avec les partenaires, prestataires et freelances.
Et justement, si l’activité des entreprises subit un choc et va pâtir pendant plusieurs mois de cette crise économique qui va entraîner (probablement) un gel des embauches, il faudra malgré tout se remettre à communiquer. Et qui de mieux que les freelances, déjà rompus au travail à distance et à l’agilité des projets, pour aider dans cette phase de redémarrage, et accompagner les salariés dans ce nouveau mode de travail ?
Au-delà des compétences et volontés de l’entreprise, la nécessité d’une couverture internet homogène et optimale de tout le pays se pose plus que jamais. Alors que les salariés se retrouvent à travailler de chez eux ou dans leur résidence secondaire, en milieu péri-urbain où le loyer est plus accessible, voire même à la campagne, les fameuses zones blanches posent problème. La nécessité d’un réseau dense semble évidente, malgré les risques évoqués notamment autour de la 5G.
Apprendre à vivre et travailler autrement
La transformation passe par les entreprises.
Cette crise, cette période de confinement, sont aussi l’occasion de transformer ses produits et services pour les rendre plus agiles et adaptables.
Cela peut même être l’occasion de faire évoluer son business model. Vous donniez des formations en entreprise ? Créez leur équivalent en ligne. Cela ne vous empêchera pas de continuer à vous déplacer en entreprise, mais vous pourrez proposer une autre façon d’apprendre, pour les personnes trop éloignées géographiquement, qui préfèrent avancer à leur rythme (ou qui sont en confinement…).
Intégrez si ce n’est déjà fait dans vos modes de fonctionnement les méthodes de design thinking. Non seulement vous aurez toutes les chances, grâce à la phase d’immersion, d’aller chercher les vrais besoins de vos cibles, et donc de concevoir un produit/service utile, mais en plus vous prendrez l’habitude de tester et itérer vos prototypes. Les longs mois de gestion de projets avec une sortie de produit en fanfare pour finalement se rendre compte que ça ne “matche” pas avec les cibles ne sont plus de mise. Pas assez souple, pas assez résilient, trop coûteux en énergie et en budget, pas assez stable pour affronter une crise telle que celle que nous vivons.
Choisir un nouveau modèle de société.
Déjà les cases ne sont plus aussi étanches entre les statuts : on peut être salarié et entrepreneur, passer de l’indépendance au salariat, repasser indépendant… Les “carrières” ne sont plus un long fleuve tranquille, pour le meilleur comme pour le pire.
On se rend compte que les métiers jusqu’ici peu valorisés sont en fait ceux qui nous font tenir, que sans les retraités, souvent vus comme inutiles, les mairies, les associations, les actions bénévoles ne fonctionnent plus. On ouvre les yeux, mais à nous de passer à l’action pour qu’une fois la crise terminée, on ne les referme pas.
Plus de 200 000 personnes actuellement au chômage partiel ont proposé leur aide aux agriculteurs pour la récolte, la fameuse “quête de sens” fait encore plus son chemin dans l’esprit des personnes exerçant un bullshit job…
Pourquoi le travail dit “productif” serait-il le seul à créer de la valeur ?
Le sujet du revenu universel refait surface, et avec lui l’idée d’une autre façon de vivre, un mix entre travail à vocation de profit, et action à destination du bien commun. La possibilité d’explorer, de découvrir des territoires et des talents que l’on ne soupçonnait pas, pour les mettre à profit, et réinventer son parcours professionnel et le monde qui nous entoure. Que ce soit à cause de la crise, de l’automatisation des métiers ou d’autres facteurs perturbants, les travailleurs devront apprendre à se réinventer et à switcher entre différents statuts voire métiers.
Opportunité ou menace ? Tout dépend de la préparation. Il est temps de les accompagner dans cette évolution d’état d’esprit, afin qu’ils ne soient pas démunis et sans ressources (financières et psychologiques) pour assurer les changements de cap.
Encore une fois, les communicants devront travailler avec les managers et les RH de concert pour apporter de la valeur et un accompagnement adapté et utile dans ces transformations.
Conclusion
Bouleversements ou tendances accentuées par la crise, les transformations sont en marche. Le changement fait peur, mais c’est aussi un formidable mouvement. A nous de faire en sorte qu’il soit vers l’avant, vers plus de sens et de prise en compte de nos écosystèmes.
On voit clairement l’avantage qu’ont les entreprises qui avaient créé des communautés avant la crise. Elles peuvent s’appuyer sur ces dernières pour maintenir le lien entre la marque et ses publics. Ce travail de fond, parfois délaissé par certaines structures car trop “long-terme”, montre aujourd’hui toute sa force.
Les communicants ont un rôle de sauvegarde de la valeur de l’entreprise par la création et l’animation de ces communautés externes (clients, partenaires etc.) mais aussi par l’accompagnement au changement auprès des collaborateurs. Guider les femmes et les hommes, de la bonne manière, avec les bons outils, pour s’adapter aux nouveaux fonctionnements, potentiellement vecteurs de plus d’épanouissement au sein de l’entreprise.
Voilà le sens de notre démarche dans la crise actuelle.
Récapitulatif des sources :
✏️ Article paru sur le site elegia.fr : Le côté obscur des outils numériques : quels effets sur les risques professionnels ?
✏️ Article paru sur futura-sciences.com : L'application Zoom interpellée par la justice américaine suite à des piratages
✏️ Article paru sur Socialter : StopCovid : le double risque de la « signose » et du « glissement »
✏️ Article paru sur futura-sciences.com : StopCovid, l'application française pour tracer les malades du Covid-19, prend du retard
✏️ Article paru sur metro.co.uk : Boris Johnson sparks security concerns after revealing Zoom ID for Cabinet meeting
✏️ La page d’inscription à un appel téléphonique d’un comédien du théâtre de la Colline
🎥 Emission “Clique à la maison” pendant le confinement
✏️ Article paru sur Usbek & Rica : Covid-19 : comment les producteurs agricoles se réorganisent
✏️ Article paru sur Usbek & Rica : Le confinement pourrait nous rapprocher de la nature
✏️ Article de la Fondation Jean Jaurès : L’exode sanitaire : nouvelle manifestation de la sécession des catégories supérieures
💡Plateforme Inventons le monde d’après
💡Présentation de la communauté Acracy : Piloter sa marque en période d’incertitude
✏️ Article paru sur L’ADN : Marques : comment garder le lien à l’heure de la distanciation sociale ?
✏️ Article paru sur get.agorize.com : Télétravail : 7 idées pour maintenir le lien social et collaboratif
✏️ Article paru sur Usbek & Rica : Confinement : les défis technologiques du télétravail
✏️ Article paru sur Welcome to the jungle : « Ménager » plutôt que « manager », la clé pour garder ses équipes engagées ?
✏️ Article paru sur Welcome to the jungle : Futur des RH : Il faudra désormais compter avec les freelances !
✏️ Article paru sur klap.io : Qu’est-ce que le design thinking ?
✏️ article paru sur mouvement-up.fr : Un revenu de base pour protéger les citoyens en cas de pandémie ?
✏️ Article paru sur Usbek & Rica : À quoi ressemblera le travail après le confinement ?
Pour aller plus loin :
✏️ Article paru sur Welcome to the jungle : Coronavirus & futur du travail : ce que la science-fiction nous apprend pour la suite
✏️ Article paru sur Ritimo : Low tech : face au tout-numérique, se réapproprier les technologies
C’est fini pour aujourd’hui !
Et d’ici la prochaine édition, n’hésitez pas à :
👉 partager Le billet à impact 😁
👉 me contacter pour me donner vos retours, et des idées d’articles/initiatives/personnes qui pourraient m’inspirer pour les prochains Billets à impact !
Portez-vous bien !
Aurélie